1968-2018 : un demi-siècle. Nous sommes passés d’un siècle à un autre.
Toutes les études le montrent, la population des seniors s’est métamorphosée en allongeant de la durée de vie globale, de vie en bonne santé, et aussi de vie en inactivité. La croissance en nombre fait rêver et peur à la fois.
Les consultations médicales offrent, pour moi, un observatoire privilégié de l’impact tangible de ces changements sur le quotidien d’hommes et de femmes désignés comme seniors et de leur entourage. Cette nouvelle génération n’a pas vécu la guerre et ses restrictions mais les 30 glorieuses et le plein emploi. Elle a fait tomber les cadres établis de la société pour imposer ses propres règles centrées d’abord sur la satisfaction des besoins de libre arbitre et d’épanouissement.
Les résignations d’autrefois ne sont plus. La religion ne s’impose plus mais la spiritualité peut se choisir. Chacun veut être acteur de sa santé. Le médecin que je suis conseille et accompagne plus qu’il ordonne et prescrit. Les thérapies dites alternatives deviennent naturellement complémentaires. Seules les sciences peuvent imposer leurs théories comme vérité. Ainsi même la vieillesse et la mort n’apparaissent presque plus naturelles et se doivent d’être combattues.
Les jeunes seniors arrivent à la retraite en pleine possession de leurs moyens. Ils commencent souvent par s’autoriser à profiter pleinement de la vie en consommant du loisir et de la culture. Ils ne se sentent pas appartenir à la population dans laquelle on veut les jeter et rêvent de flexibilité du travail pour partager leurs expériences et être valorisés au sein de la société. Très connectés, ils se sentent concernés par leur sécurité et la surveillance de leurs paramètres de santé. L’accès aux soins facilité est devenu un enjeu majeur dans notre système de soin qui doit s’ouvrir et se construire de nouveaux repères.
Je rencontre quotidiennement des seniors friands de tout ce qui peut prévenir les déficiences du vieillissement (régimes et compléments alimentaires, pratiques psycho-corporelles et thérapies diverses). Leur environnement familial, s’il reste la pierre angulaire, est bien souvent fragmenté. Les jeunes seniors sont ainsi de plus en plus pris en étau entre la génération de leurs parents devenus fragiles et celle de leurs enfants et petits enfants qui demandent parfois un soutien logistique, financier et affectif. Les plus fragiles des aînés vivent en EHPAD. J’ai pu observer depuis 20 ans une amélioration significative de la qualité des services d’hôtellerie et même de soins. Cependant les exigences des consommateurs sont croissantes et insistent sur la qualité de la relation humaine et le respect de la dignité. En EHPAD, les centenaires ne sont plus rares. Les usagers méditent, pratiquent le yoga et font plus résonner Johnny que Trenet. L’institutionnalisation reste cependant un projet par défaut, le plus souvent non consenti. Les seniors aspirent véritablement à vivre sécurisés chez eux, en lien avec leurs proches, entourés de soignants humainement compétents et d’aides technologiques limitant leur handicap. Les nouvelles technologies issues de l’intelligence artificielle, pour être intégrées, doivent avoir un fonctionnement presque intuitif, se fondre dans les habitudes du quotidien et être associées à un service client humain et disponible. Le secteur des aides à la personne doit parallèlement gagner des lettres de noblesses en misant considérablement sur la formation et le management bienveillant. Les aides humaines ne pourront pas faire l’impasse de gagner en intelligence émotionnelle, pour accompagner une population qui a soif de personnalisation et d’authenticité tout autant que de liberté et d’éternité.
Stéphanie Marchand est médecin gériatre en charge d’un hôpital de jour cognitif thérapeutique (HPGM). Diplôme de Centrale Lille en 2011, elle est aussi médecin à Neurospin – CEA, dirigeant des travaux de recherche en neuro-imagerie sur le vieillissement cérébral, membre du CERNI à l’université Paris Saclay et formatrice à l’INSTN